A l’occasion du passage de la pièce le 11 février au Théâtre de Ménilmontant, nous avons rencontré la compagnie des Moutons Noirs, porteuse de cette relecture étonnante d’un classique indémodable.
Les Zébrés. – Quelle résonance cette pièce écrite en 1668 a-t-elle aujourd’hui ?
Les Moutons Noirs. Le génie de Molière, c’est d’avoir créé des histoires où les personnages et leurs relations sont universels et intemporels. A peu de choses près, nous sommes les mêmes humains qu’il y a 350 ans ! Nous éprouvons les mêmes sentiments, les mêmes désirs, tissons les mêmes liens, souffrons des mêmes peines et des mêmes travers. Molière nous parle de l’essence des hommes, des femmes, et de la grande société Humaine, par le rire et l’émotion. C’est pourquoi il nous touche toujours autant. Dans L’Avare, il évoque la dureté infernale d’un père envers ses enfants, la cupidité, l’égoïsme exacerbé, la souffrance d’innocents, les amours contrariées ou la vengeance. N’est-ce pas toujours d’actualité ?
En quoi l’utilisation des masques s’est-elle imposée ?
Nous nous sommes permis d’apporter une dimension supplémentaire au texte de Molière afin d’aborder un des problèmes préoccupants de notre époque, à savoir le traitement de la vieillesse et la question de la fin de vie dans notre société moderne. Nous racontons L’Avare, fidèles au texte de Molière, à travers l’esprit délirant d’Harpagon, très vieux, des années après les faits. Les personnages qui évoluent autour de lui sont les souvenirs du passé qui le hante. En somme, le passé c’est l’histoire de L’Avare de Molière et le présent, 20 ans après, c’est un Harpagon profondément seul, un infirmier, et des enfants vieux et maltraitants. Les masques – qui déforment et exagèrent les caractères des personnages dans la dimension du souvenir et des fantasmes – se sont alors imposés naturellement pour différencier les fantasmes de la réalité, le passé du présent.
La musique tient elle aussi un rôle important…
Oui, elle est en effet très présente car elle participe à la coexistence de cette dimension hallucinatoire et du monde réel. Fabrice Theuillon, compositeur et musicien de talent, a créé un répertoire à la fois tonal, d’inspiration baroque et contemporaine par l’usage des outils informatiques. La création musicale de L’Avare s’est élaborée autour de la cassette d’Harpagon qui est véritablement un élément symbolique et emblématique. En quelque sorte, elle est un objet de convoitise, de vengeance, de souvenirs, de délire, de survie, bref, c’est le point de convergence de toutes les extravagances.
La structure du décor est très squelettique, épurée. Pourquoi ce parti pris ?
Nous avons travaillé sur la représentation suggestive de l’habitat d’une personne âgée qui fut avare toute sa vie. Cette recherche nous a amenés à inventer, comme vous le soulignez, une structure très épurée, squelettique, où la vie, l’organique, se sont desséchés. Une pièce vide avec pour seul décor des murs/cadres vides, un fauteuil vide, qui évoluent tout le long de la pièce. Ces formes simplifiées schématisent l’esprit d’Harpagon et la réalité déformée qu’il nous donne à voir.
Parlez-nous de votre collectif…
A l’origine, nous sommes cinq amis comédiens, issus d’une troupe célèbre de commedia dell’arte, qui avons décidé de créer notre propre compagnie. Avec pour ambition de sortir du schéma parfois rébarbatif de ce genre théâtral tout en nous revendiquant du théâtre populaire, nous cherchons depuis à créer des spectacles vraiment (!) vivants, inattendus, riches en propos, enthousiasmants, émouvants et drôles. Notre fonctionnement est réellement collectif et… ça marche !
Quels sont vos projets ?
Nous comptons bien renouveler au prochain festival d’Avignon le succès qui fut le nôtre en 2012 en présentant à nouveau L’Avare de Molière et Des Amours, les trois farces de Tchekhov. Un spectacle est également en cours de création, il s’agit de Ruy Blas de Victor Hugo, ou La Folie des Moutons Noirs. Animé par toute la folie jubilatoire de notre compagnie, ce spectacle vivra ses premières représentations début 2014, au théâtre de Ménilmontant.
Propos recueillis par Benjamin Pechmezac
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