Il arrive que, malgré la profusion des qualificatifs mis à notre disposition par la langue française, on se sente impuissant à rendre toute la densité et la richesse d’une œuvre littéraire. Libre à nous alors d’employer le terme « chef d’oeuvre ». Cloud Atlas (cartographie des nuages) de David Mitchell est un roman colossal, intelligent, virtuose, enivrant, en un mot : passionnant.
Il est en fait constitué de six chapitres, six vies entremêlées à travers cinq siècles, six histoires dont on pourrait aisément imaginer qu’elles ont été écrites par six auteurs différents. En 1850, un notaire traverse le Pacifique et découvre la réalité de l’esclavage ; en 1931, un jeune musicien homosexuel, talentueux, romantique et tourmenté, se met au service d’un compositeur vieillissant ; en 1975, une journaliste d’investigations tente de déjouer un complot nucléaire ; de nos jours en Grande Bretagne, un éditeur se retrouve interné contre son gré dans une maison de retraite ; en 2144, Son-mi 451, un clone accusé de rébellion dans une société asservie (on pense à Soleil Vert), subit un interrogatoire avant son exécution ; enfin en 2321, après l’apocalypse, Zachry, membre d’une tribu primitive, collabore avec une femme d’une civilisation plus avancée pour lutter contre la barbarie et les massacres d’une autre tribu. L’auteur fait preuve d’une époustouflante maîtrise littéraire qui le fait passer d’un style à un autre en fonction des époques (journal de bord à la façon d’un Jules Verne, épistolaire, suspense haletant d’un roman policier, prose futuriste des romans de science-fiction…).
Six histoires dont on comprend au fur et à mesure, par la structure du livre, qu’elles sont étroitement imbriquées. Chacune se retrouve et se reflète de manière inversée dans les deux parties qui composent le roman.
Six histoires connectées entre elles par des thèmes récurrents – peur de la différence (« l’ignorance de l’autre entraine la peur »), domination, soumission des faibles, violences, souffrances, sentiment de révolte – mais surtout sous-tendues par l’idée de « l’interaction des vies dans l’espace infini du temps ». Tout est lié, les êtres re-naissent et les actes, bons ou mauvais, ont une répercussion dans l’avenir proche ou lointain. La tache de naissance que chacun des protagonistes porte à un endroit du corps en est le trait d’union symbolique.
Certes, chacun est libre d’interpréter Cloud Atlas à sa manière. Toutefois, si l’enchevêtrement des intrigues vous semble rébarbatif et de nature à troubler la compréhension, il ne faut pas hésiter à voir le film réalisé par les Wachowski (Matrix) et Tom Tykwer, dont le DVD est sorti en juillet 2013. Cette excellente adaptation cinématographique lève tous les doutes sur ce qui ne serait pas clairement perçu à la lecture du livre, notamment le thème de la réincarnation.
Maryse Decool