La sortie d’un CD de Michèle Bernard est toujours une fête pour les amateurs de chanson. Qu’ils se réjouissent : son quinzième album, Tout’manières (grand prix de l’académie Charles Cros) est disponible depuis quelques mois.
Avec la justesse qu’on lui connaît, la dame – agrippée à son accordéon – gratte toujours où ça fait mal (« On est qu’des pirouettes / entre deux chagrins ») et caresse avec tendresse ce qu’il nous reste d’humanité. De sa voix chaude et vibrante, elle creuse, creuse dans les recoins de nos vies pour en extraire l’essentiel, sans fioritures ni tralala. Lanceuse d’alertes en phase avec l’époque (Je clique), portraitiste de génie (Yvette), elle arrive à rendre de petits riens si importants (Chewing gums, Savons d’Alep, Les brocs bleus) pour donner à voir l’invisible. Précision du verbe, mélodies envoûtantes et interprétation au cordeau : un vrai travail d’orfèvre sublimé par les arrangements de Pascal Berne, simples et chaleureux. L’émotion est bien là, tout comme le sentiment réconfortant de partager les mêmes indignations et les mêmes espérances (« Comme ils se ressemblent / tous nos pas qui tremblent »). Et quand pointe le découragement face à ce métier souvent difficile, c’est une amie de longue date, Anne Sylvestre, qui lui prête sa voix comme on pause une main sur l’épaule, comme on prend dans ses bras sa « soeur de scène » (Madame Anne).
Si depuis près de quarante ans, l’humaniste trace sa route musicale « dans un rond de lumière » avec force et courage, c’est sans doute « Pour que la vie s’éclaire / de quelques mots d’amour ». Et, comme un pied de nez au temps qui passe, elle répète à qui veut bien l’entendre qu’il est urgent de s’aimer maintenant ou jamais (« Demain on s’ra vieux / demain on sera mort / serrons-nous plus fort »). Un album généreux et bouleversant à écouter les oreilles et le coeur grands ouverts.
Benjamin Pechmezac
Michèle Bernard, Tout’manières. CD 14 titres, EPM. Toutes les dates de concert sur son site officiel.