Il y a la scène, quasi nue. En arrière plan, un tableau noir et sur le côté, un portant chargé de costumes. Il y a les cinq comédiens, assis sur des tabourets de bois, qui semblent nous attendre. Il y a ce préambule, où l’on nous explique que tout est conté, que tout est histoire, que l’Histoire elle-même est histoire.
La pièce à son début établit un parfum de mystère, un suspense dont elle ne se départira plus, qui nous tiendra en haleine jusqu’au bout : en Algérie, une femme et sa fille disparaissent mystérieusement. Ailleurs en France, dans un autre temps, par une nuit pluvieuse, Martin Martin, venu enterrer son père, découvre un carnet manuscrit et un grand nombre de livres marqués d’un calice. A partir de là, le récit passe à la vitesse supérieure ; tout se croise et s’entrecroise, époques, petite histoire et grande Histoire, personnages illustres ou inconnus. On remonte le temps, on passe du désert d’Algérie à un village paumé des Ardennes, via le port de Marseille, on voyage en voiture, en avion, en diligence, en bateau. L’intrigue est dense, touffue, parfois difficile à suivre mais incontestablement brillante. Les comédiens, excellents, suivent sans répit le rythme imposé, jonglent avec les époques et les costumes et incarnent parfois même en duo un seul personnage dans un espace-temps différent. Jusqu’aux livres enfin qui, par l’importance que leur donne l’auteur, sont à eux seuls un personnage à part entière.
Pièce, film, conte, légende, feuilleton (Dumas y est omniprésent), Le Porteur d’histoire est tout cela à la fois. Cette pièce est un vertige à elle seule, une quête haletante, une manipulation de l’esprit. Une belle invitation à reconsidérer l’Histoire à travers des récits à tiroirs qui s’imbriquent au mépris du temps qui passe.
Maryse Decool
Le Porteur d’histoire, d’Alexis Michalik, au Studio des Champs-Elysées. Jusqu’au 30 juin 2013, reprise le 7 septembre.